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Net & Cut-Up

De la navigation web vue comme une dérive situationniste

La dérive est une technique psychogéographique formalisée par Guy E. Debord en 1956. Il s'agit, à l'origine, d'un mode de comportement expérimental lié aux conditions de la société urbaine, un « passage hâtif à travers des ambiances variées », à même de mettre à jour les contraintes de la ville dans le but d'établir des stratégies destinées à les contourner ou les modifier. Pour dériver, il n’est conséquemment pas question de plan de route, ni de schéma préétabli... Mais Guy Debord invite aussi à se défier du hasard, dont l'emploi idéologique est toujours réactionnaire : « Le progrès n'est jamais que la rupture d'un des champs où s'exerce le hasard, par la création de nouvelles conditions plus favorables à nos desseins ». Il s'agira donc d'un parcours aléatoire, ouvert aux opportunités et aux choix subjectifs. Ce comportement qualifié de « ludique-constructif » devait mettre en évidence les unités d’ambiance, les axes principaux de passage d'un quartier, ainsi que la détection de « marges-frontières plus ou moins étendues » avec les quartiers environnants.

The Naked City,Guy Debord - DériveGuy Debord - Dérive

« Une situation construite est un moment de la vie non plus subi mais concrètement et délibérément modelé. »
—Guy Debord


Du Cut-Up comme outil de détournement

Dans ses fondements, la dérive peut-être assimilé au Cut-Up (ce dernier étant un acte de détournement, que l'on pourrait résumer en un travail de déplacement ou de substitutions d'éléments constituants un ensemble afin d'en magnifier les liaisons ou les contradictions internes). D'ailleurs Gilles Ivain, membre de l'Internationale Lettriste et auteur du Formulaire pour un urbanisme nouveau (dont une version, établie par Guy Debord, parut en 1958 dans le premier numéro de la revue I.S.) fut sans doute l'un des premiers a lier métagraphie et géographie dans un collage où des fragments de cartes (Groenland, Afrique, Australie...) ajoutés sur un plan du métropolitain de Paris devenait une invitation à la découverte d’un territoire connu (le métropolitain) avec l'ambition d'accéder à un monde inconnu, voire utopique (puisque nulle part...). Une dérive adapté au web s'apparenterait en partie à une exploration similaire, puisque le lieu, virtuel par destination, ne dévoilerait son existence possible qu'au gré d'une errance aléatoire reposant sur la disponibilité d'hyperliens externes ou profonds permettant la déambulation. On approcherait ainsi le processus tel que théorisé par guy Debord en psychogéographie urbaine : La dérive, déjà pratiquée par les Lettristes, est une forme de mouvement qui, par son absence de but et de plans, se soustrait aux structures urbaines contraignantes fonctionnalisées. La dérive étant en elle-même une action subversive visant à saper les fonctions planifiées de la ville, tout en permettant l'élaboration d'un matériel critique.

connexions réseau,Pixabay public domainPixabay public domain

« Les deux lois fondamentales du détournement sont la perte d'importance – allant jusqu'à la déperdition du sens premier – de chaque élément autonome détourné ; et en même temps, l'organisation d'un autre ensemble signifiant, qui confère à chaque élément sa nouvelle portée. »
—Guy Debord


Bases préalables d'une dérive Internet

Le but premier serait dans un premier temps de détourner les fonctionnalités classiques de la navigation en privilégiant une recherche dépourvue de but déterminé, mais on pourrait aussi tenter d'atteindre une page internet choisie arbitrairement en n'utilisant que les liens internes disponibles à chaque visite d'un nouveau site et en évitant autant que possible tout retour en arrière dans l'historique du navigateur. Quoiqu'il en soit, la mise en pratique du procédé impliquerait d'en définir précisément les règles, ce qui nécessitera au préalable plusieurs explorations documentées afin d'y découvrir les méthodes les plus propices à générer des situations exploitables. J'imagine qu'il serait possible d'établir des cartes illustrant chaque dérive et répertoriant passerelles, cul-de-sacs (pecking order), plaques tournantes (affiliation), chicanes (discrimination) et ghettos (bulles de filtre). Il est plus que probable que la géographie cachée du web ne reproduise dans ses structures l'organisation sous forme de classes sociales des internautes-utilisateurs, ceux-ci choisissant massivement les sites répondant le mieux aux pulsions consuméristes et aux obsessions culturelles que l'époque leur inculque. Une intuition qui resterait cependant à démontrer.

Extension ou réification

Il ne s'agit évidemment pas de détourner les principes de l'étude psychogéographique dans une direction contraire à ses motivations originelles, mais d'ajouter (si possible) un outil d'analyse supplémentaire adapté aux nouvelles méthodes d'asservissement mises en place par la société du spectacle. L'exercice étant suceptible d'aboutir à la prise de conscience de la main-mise des théories fonctionnalistes sur l'élaboration des échanges numériques. La transformation des plateformes de partage en gigantesques supermarchés du like fait malheureusement preuve de son efficacité pernicieuse car aucune ne concoure réellement à la création consciente et collective de situations. La multiplicité des pages facebook bradant sous formes de bribes désincarnées les fondements de la philosohie situationniste suffit à prouver ce qu'annonçait Guy Debord, "l'atomisation de l'individu face à une apparence factice d'être-ensemble" et "son contrôle par le biais du spectacle et de la consommation organisée, les avancées techniques se contentant de réduire les échanges à la pure trivialité du répétitif".

publié le 05/01/2020, à 11h42 par Frédéric Schäfer

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