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Pour en finir avec Facebook

L'ivresse de l'ego

Face aux attaques de la lanceuse d’alerte Frances Haugen qui reprochait à Facebook de faire du profit sur la désinformation et le mal-être de ses utilisateurs, son fondateur s'est défendu en rejetant l’idée que l'entreprise privilégierait les profits plutôt que la sécurité et le bien-être de ses utilisateurs. En répondant a son accusatrice par un demi-mensonge, Mark Zuckerberg s'est en partie dégagé d'une dénonciation partiale. Le but de Facebook n'est ni la désinformation, ni le mal être de ses utilisateurs. Ce ne sont que des conséquences inhérentes aux principes de fonctionnement d'un réseau d'échange dont la première motivation est la rentabilité. Derrière les accusations contre Facebook, se profile donc le spectre d'une obsession qui n'est pas l'apanage des entreprises numériques. Le taylorisme, longtemps confiné au secteur industriel, s'est finalement propagé dans tous les domaines d'activités, avec toujours les mêmes symptômes : pression physique ou morale, négation de la personne, non-reconnaissance du travail accompli, mal-être… Que ce même syndrome se manifeste conjointement à l'utilisation compulsive des réseaux sociaux n'étonne que si l'on ignore les puissants outils mis en place par ces entreprises pour conditionner et rendre toujours plus dépendants leurs utilisateurs. Des outils d'autant plus perfectionnés qu'ils doivent pallier une absence de proximité physique avec des mécanismes de compensation ou de récompense qui n'ont rien de matériel.

multiplication de logos facebook,Pixabay public domainPixabay public domain

« Le consumérisme est l'addiction aux produits inutiles, à valeur illusoire ou imaginaire. »
—Edgar Morin


Habitude ou addiction

Pour arriver à leurs fins, les concepteurs de ces applications utilisent nos émotions et nos pulsions inconscientes pour parvenir à leurs fins, sans jamais se poser la question des conséquences induites. Or la question de l’éthique dans le design se pose dès lors que celui-ci détourne des stratégies comportementales individuelles à son profit. Cette interrogation, lié à la question du Persuasive Design, fut largement débattue il y a quelques années avant d'être enterrée sous une nouvelle appellation censée aboutir au même résultat, mais avec des procédés plus "éthiques" : l'UXdesign. La question est-elle réglée pour autant ? Pour y répondre, il faut également comprendre comment se crée une habitude. L'addiction débute lorsque l'activité provoquée mobilise dans notre cerveau des neurotransmetteurs créant un besoin auquel celle-ci vient répondre. Ce mécanisme vaut autant pour l'hyperconnection que pour d'autres passe-temps comme la musique ou la lecture qui, par la répétition, créent le besoin qu'elles comblent. L'habitude ne se transforme en addiction que lorsque celle-ci supplante à son avantage toutes les autres formes d'activités voisines. Or on peut estimer qu'environ 50% de la population est atteinte d’une forme de dépendance au numérique.

Logos réseaux sociaux,Pixabay public domainPixabay public domain

« Accepter d'autrui qu'il subvienne à des besoins nombreux et même superflus, et aussi parfaitement que possible, finit par vous réduire à un état de dépendance. »
—Friedrich Nietzsche


Une technologie opportuniste

En allant au fond des choses, il est sans doute excessif d'accuser Facebook d'être pleinement responsable de ces dérives. L'entreprise s'est développée comme une moisissure sur un substrat propice à son épanouissement et ne cherche depuis qu'à perpétuer le macrocosme qui lui a si bien réussi. D'abord en phagocytant les applications voisines afin de décupler son emprise. Ainsi, aux plus de 175 millions de photos par jour mises en ligne sur Facebook, s'ajoute depuis 2012 les plus de 100 millions de photos et de vidéos sur Instagram. Chaque minute, 695.000 statuts Facebook sont mis à jour. La cause première du mal serait à chercher dans le déficit ou la perte de sens à l'origine du vide existentiel que partagent la majorité des personnes. La plus infime période d'inactivité incite à sortir son smartphone de sa poche. Et même si la quasi-totalité d’Internet est à portée de main, les consommateurs n’utilisent finalement que très peu d’applications parmi les milliers existantes. 80 % du temps consacré sur un smartphone se concentre sur seulement trois applications. Du fait que toutes nos interactions quotidiennes, qu'elles soient personnelles ou professionnelles, sont actuellement dépendantes d’internet, on peut estimer que la société elle-même est à l’heure actuelle gagnée par une forme de cyberaddiction.

avatar et deconsruction de soi,Pixabay public domainPixabay public domain

« Il n'y a que trop de Narcisses dans le monde, de ces gens amoureux d'eux-mêmes. Ils sont perdus s'ils trouvent en leurs amis de la complaisance. »
—Charles Louis de Secondat, baron de Montesquieu


Un vide sans écho

Facebook est-elle une application toxique ? Tous les indices convergent pour le laisser supposer. Certaines pratiques sociales contemporaines conduisent à des formes d'« auto-réification ». Dans le cas de Facebook, la structure de la page incite à se présenter d'une manière figée, à scénariser sa propre vie pour la rendre enviable et à embellir son quotidien. D'une certaine manière cela conduit à une forme de fixation de son espace intérieur sous l'angle d'un perpétuel présent. Dans cet emprisonnement temporel, le seul horizon, c'est l'instant. Autant dire le rien. Sur Facebook, il n'y a pas d'histoire. Le temps est fragmenté en vignettes dépourvues de sens, à l'image de ces "mêmes" vidéo tournant en boucle indéfiniment. C'est la disparition du temps linéaire. Les gens y sont réduit en une myriade de métadonnées potentiellement monnayables et destinées à être mâchonnées sans fin par les nouvelles intelligences artificielles. Comme le sont sans doute les 93 millions de selfies journaliers, matière première des logiciels de reconnaissance faciale.

« Sur le web, il n'existe d'ailleurs ni début, ni fin » – écrit Marc Dugain dans "L'homme nu" – « En effaçant la chronologie, en gommant les repères historiques, on induit un état de confusion, une incapacité à hiérarchiser les évènements. Privé de la profondeur du temps, chacun vit dans un monde aplati où tout est au même niveau, où tout se vaut ». À ce stade, chacun reconnait dans les autres sa propre insignifiance et son conditionnement. Précisément : la démission à laquelle il a dû souscrire lui-même pour participer. Facebook est une application à visée narcissique, dont le seul but est de capter des données comportementales pour les recycler ailleurs (En 2014, les ingénieurs de Facebook indiquaient être en possession d’environ 600 tera-octets de données par jour).

selfie,Pixabay public domainPixabay public domain

« Le recours candidement avoué à l'esthétique de la vitrine s'éclaire parfaitement par la théorie du spectacle : les consommateurs deviennent eux-mêmes spectaculaires ainsi que doivent l'être les objets de consommation, faute d'avoir d'autre attirance. »
—Guy Debord


« Je » est un autre

Le processus conduisant à la réification se manifeste lorsque la représentation en ligne tend à s'abstraire des contingences de la vie réelle et surtout s’illusionne sur cette indépendance. La réification devient un fait lorsque la perte d’accès au sens même de nos actions, de notre existence, voire de notre être, se manifeste au travers d'un sentiment de frustration grandissant. Il n’y a qu’à voir comment tout un chacun laisse traîner d’insignifiants états d’âme sur son « mur de l’égo » à la recherche de « j’aime » pour s’en convaincre. C'est sur ce terreau délétère ou s'amalgament postures égotiques et insatisfactions, entre effets pervers des bulles de filtre et emballements complotistes, que prolifèrent toutes les déviances. Une association est par ailleurs relativement bien établie entre complotisme et failles narcissiques, qu'elles soient liées à une faible estime de soi, ou au contraire à un excès de certitude. À cet état de fait s'ajoute un fonctionnement de groupe hérité de la psychologie des foules. Dans la théorie de la convergence de Greenberg, il apparait qu'une foule se caractérise par la rencontre d'individus semblables, une disposition renforcée par l'effet des bulles de filtre.

Lorsqu'un tel groupe est confronté à une crise majeure, l'expérience émotionnelle globale est supérieure à la somme des raisonnements individuels. Par un effet d'économie, ceux-ci réduits au plus petit dénominateur commun (la multiplication des avis produisant une opinion par homogénéisation des personnalités) favorisent les émotions simplistes au détriment des cheminements complexes. Quelle que soit sa validité réelle, c'est l'opinion la plus partagée qui sera validé, souvent manipulé par des meneurs toxiques avides de notoriété. Ces phénomènes ne sont pas systématiques, mais lorsqu'ils se produisent, amplifiés par le fonctionnement orienté de ses algorithmes, Facebook en est un facteur aggravant. Une problématique déjà maintes fois soulevée, que ce soit par des ONG ou par les propres chercheurs de l'entreprise.

publié le 26/01/2022, à 18h45 par Frédéric Schäfer

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