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Des graphistes contre Poutine (suite)

Parade horrifique

Le désir de revanche de Poutine débute en 2012, année de sa réélection, mais également année charnière qui marque sa rupture avec l'Occident. Après une élection entachée de soupçons de fraude sur fond de situation économique catastrophique, Poutine tente d'endiguer les manifestations en réutilisant un discours hérité de la guerre froide mêlant conspiration, espionnage et ennemi intérieur. Peu à peu, la Russie s'embourbe dans le déni… « L'humiliation est sans doute le fil conducteur de toute cette affaire, analyse Michel Eltchaninoff, journaliste et spécialiste de la philosophie russe, Ce sentiment supposé vis-à-vis d'un Occident qui aurait presque organisé la chute de l'URSS, en oubliant que l'URSS s'est effondrée sous le poids de sa propre inefficacité. » Le besoin de contrôler un récit historique de moins en moins en phase avec la réalité du pays ont favorisé le népotisme, la flagornerie et la servilité autour de son dirigeant. Les intrigues constantes et les rivalités ont progressivement rétréci le cercle des confidents du président, gravitants autour de lui comme des courtisans, attentifs à ne lui servir que le discours instrumentalisé né de la propagande. Dans ce contexte, les distorsions nécessaires pour soutenir ces fictions vénéneuses ne peuvent finalement se jouer que comme des parodies horrifiques. L'absurde "opération spéciale", tout comme le "Z" pathétique qui lui sert d'emblème, tels les clichés stupides d'une dystopie calamiteuse, semblent nés d'un esprit fatigué.

Parodie affiche dystopie,Plan 9 from Outer-SpacePlan 9 from Outer-Space

« Nous avons tous vu les photos de Poutine lors de réunions, assis aussi loin de ses laquais que possible. Il a atteint le dernier stade du règne d’un dictateur : la phase de mégalomanie paranoïaque (…). La peur est ancrée en lui, il n’a plus que des ennemis désormais. »
—Darryl Cunningham


Les allumettes dangereuses

Au printemps 2021, alors que la Russie commence à déployer ses troupes le long de la frontière ukrainienne, Novaya Gazeta met en vente une série de 5 boites d'allumettes : "Un ensemble d'allumettes dangereuses avec une odeur de soufre pour tous les types d'allumage social et politique" dessinées par Dmitri Pakhomov. Chacune des personnalités présentées dispose d'un slogan personnalisé. On reconnaissait entre autres, comme on peut le voir ci-dessous, Ramzan Kadyrov : Allumettes dangereuses "Incitation au crime" ; Vladimir Soloviev, journaliste devenu l'un des plus violents propagandistes du Kremlin : Allumettes babillardes "Étincelles de haine" ; Valentina Matvienko, présidente du Conseil de la Fédération : Allumettes persistantes "Réactions en chaîne". Les allumettes sont apparues sur la plate-forme de vente "Ozon.ru", l'équivalent russe d'Amazon, en édition limitée éditée pour l'anniversaire de publication du magazine. Nul doute que cette sortie n'ait été très appréciée. Seul Kadyrov émettra quelques borborygmes agacés, mais suffisants pour que des dispositions soient prises. Après leur réclame éphémère dans la presse, Ozon dut supprimer les boites d'allumettes de la vente.

Les allumettes dangereuses par Dmitri Pakhomov,Dmitri Pakhomov/спички опасныеDmitri Pakhomov/спички опасные

« Comment un homme s'assure-t-il de son pouvoir sur un autre Winston ? Winston réfléchit : en le faisant souffrir, répondit-il. - Exactement. En le faisant souffrir. L'obéissance ne suffit pas. »
—[1984] George Orwell


Surveillance et intimidation

Poutine est devenu le président d'un pays dont l'influence politique intérieure ou internationale s'appuie sur la menace et l'intimidation. En russie, une conséquente partie de la population arbore le "Z" gouvernemental de soutien à l'opération spéciale, mais pour une majorité de celle-ci le choix n'était pas optionnel. Ceux qui ne suivent pas le mouvement s'expose aux brimades et aux représailles. La police patrouille dans les centres culturels et les établissements d'enseignement, à la recherche de ceux qui parviennent à échapper aux caméras, aux indicateurs, ou à la surveillance d'activités en ligne sur les réseaux sociaux. Les artistes sont menacés non seulement d'amendes, mais aussi d'arrestations administratives et de poursuites pénales.

Le groupe d'art Yav, basé à Saint-Pétersbourg et réputé pour ses projets à la jonction du street-art et de la réalité augmentée, a repris le graphique de la peur de l'ukrainien Ilya Kabakova, initialement interrompu en 1983. La conclusion de Kabakov, en étudiant les récits et les perspectives historiques, était que chaque projet, public ou privé, important ou insignifiant, portait en lui son probable échec en relation avec le potentiel autoritaire du pouvoir. En 1983, il représentait cette situation avec le graphique "Espoir & Peur" travail conceptuel sur ce qu'il avait ressenti en URSS depuis 1957. Le groupe "Yav" a décidé de poursuivre ce tracé de 1983 jusqu'à nos jours. On y remarque plusieurs changements de courbes inquiètants avant le bond dramatique de 2022. Le travail a été placé sur la rue Zvenigorodskaya à Saint-Pétersbourg. Naturellement, l'affiche n'est pas restée longtemps en place...

le graphique de la peur,Ilya Kabakova/YavIlya Kabakova/Yav

« Rien n'est plus méprisable que le respect basé sur la peur. »
—Albert camus


Un pouvoir incontrôlable

Pour une large part de la population russe, Poutine est devenu une sorte d'abstraction, située dans un espace médiatique parallèle. Des échos de son image parviennent jusqu'à eux, mais filtrées par des canaux informationnels. L’homme, Vladimir Poutine, avec ses forces et ses faiblesses, relève de la sphère intime et échappe de ce fait à la démonstration. Il n'est finalement pas clair pour la majorité du peuple russe que les décisions issues de l'entité "Poutine" proviennent d'une personne vivante. Lui-même s'était assumé, dans une interview, désireux d'être perçu comme une fonction diffusant dans le monde les signes extérieurs répondant à l'image du pouvoir : fermeté, intransigeance, autorité, sans que cela n'ait rien à voir avec des traits humains. Cette emprise sur l’espace public s’est renforcée durant la dernière décennie avec la mise en place d'un arsenal législatif répressif contre les forces critiques dans la société. La construction de l’image du pouvoir s'est alors muée en une narration hagiographique concentrée autour des événements du passé. Plus ces récits s'éloignent des représentations collectives, plus la propagande s'exacerbe et plus la répression de voix dissidentes s'intensifie.

L'œuvre de street-art créée par l'artiste russe Philippenzo intitulée 'vingt' était consacrée à l'anniversaire de la présidence de Poutine le 26 mars 2020. « Le patient zéro a été désactivé », annonçait Philippenzo (Philip Kozlov) sur Vk, « C'est ce que montrent les croix. » Deux croix, c'est-à-dire le chiffre romain XX, représentant selon l'artiste, la durée trop longue du mandat du président. L'image pixellisé de Vladimir Poutine est reproduite à partir d'une capture sur écran de télévision, car c'est la seule façon pour la plupart des gens de le voir. Pour l'artiste, le "bruit blanc" de l'écran évoque simultanément la répétition et la temporalité fugitive des évènements. L'œuvre a été réalisée sur une période de trois jours dans une cour proche de la station de métro d'un quartier de Semenovskaya, une ville située dans le nord du Caucase. Les résidents se sont joints à l'expérience en aidant de différentes manières et en manifestant leur soutien.

Poutine : Le patient zéro,Philippenzo MadonnaroPhilippenzo Madonnaro

« Cette idée selon laquelle la Russie serait invariablement à la recherche d'un leader inflexible doté de toutes les prérogatives est une croyance largement suscitée par le pouvoir lui-même ; l'absence d'un monarque puissant produirait automatiquement le délitement. L'autocratie est devenue un mythe national. »
—Catherine Merridale


Pour un monde uni

Peu après le début de l'invasion russe en Ukraine, Pokras Lampas, artiste russe né à Korolev en 1991 et travaillant entre Saint-Pétersbourg et Moscou, a réalisé une série d'affiches contre la guerre en Ukraine. Il est l'un des représentants les plus distingués de la calligraphie contemporaine, réputé pour sa fusion unique de graffiti et de calligraphie surnommée "calligraffiti". Travaillant avec son propre alphabet, reliant le street art, le design et la typographie à la calligraphie traditionnelle, il en a révolutionné la pratique par ses immenses coups de pinceau. Pokras a également réalisé une fresque de 960 mètres carrés sur les toits d'un complexe de villas appartenant à une Ukrainienne sur l'île balnéaire indonésienne de Bali. La calligraphie géante reproduit les mots "Monde uni" en six langues : russe, ukrainien, anglais, chinois, français et indonésien. « Ce travail n'est pas une déclaration politique, c'est une déclaration culturelle, une déclaration sociale, s'adressant aux peuples et les invitant à s'unir pour inventer un avenir meilleur. »

Pokras Lampas : Non à la guerre,Pokras LampasPokras Lampas

« Une chose est la nécessité de faire front tous ensemble contre les impérialistes d’Occident, défenseurs du monde capitaliste. […] Autre chose est de nous engager nous-mêmes, fût-ce pour les questions de détail, dans des rapports impérialistes à l’égard des nationalités opprimées, en éveillant ainsi la suspicion sur la sincérité de nos principes, sur notre justification de principe de la lutte contre l’impérialisme. »
—Vladimir Ilitch Lenine



publié le 28/04/2022, à 19h14 par Frédéric Schäfer

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