Tachisme et Liberté

Plaidoyer pour un néo-Dadaïsme

Le tachisme est un mouvement pictural officiellement né dans la seconde moitié du XX^ème siècle, mais dont les racines plongent dans la periode de l'entre deux guerres (entre le début des années folles et le krach boursier de 1929). Affilié aussi bien au surréalisme (Picabia [La Sainte Vierge], André Masson, Max Ernst) qu'au dadaïsme (Kurt Schwitters) dans ses prémices, il incarnait dés l'origine la volonté de liquider consciencieusement les valeurs devenues douteuses d'un monde froidement jaugé à la lueur d'un septicisme fondamental. Guidé par le rejet de la raison et de la logique, se jouant des convenances et des conventions, animé d'un irrépressible désir de liberté, le tachisme (le terme est utilisé pour la première fois en 1951) se caractérise par des coups de pinceau spontanés rappelant parfois la calligraphie, des gouttes, des coulures de peinture directement sortis du tube. s'en emparera à son tour pour théoriser le dripping : « technique gestuelle consistant à faire égoutter ou projeter la peinture sur la toile posée au sol, sans le contact d’un instrument. » La tache devient ainsi exploitée en peinture au même titre que toute forme maîtrisée.

Aneartiste.com CC-By-Nc-Nd

Informel donc, mais loin d'un automatisme dépersonnalisé, le procédé vise à remplir les conditions optimales de la création artistiques : spontanéité, immédiateté, effet de surprise, jaillissant comme le fruit d'une méditation fulgurante et non prémédité. Henri Michaux sera avec ses calligraphies "mescaliniennes" un de ses incontournables initiateurs. Pour ce projet tachiste, je me suis laissé aller à cette écriture sans frein, en alternant encre de chine et gouache rouge vif. Afin de générer un arrière plan diffus tout en m'offrant la capacité de renouveller l'éxercice jusqu'à l'obtention d'un résultat concluant, j'ai lavé plusieurs fois le support papier (une large feuille de Canson format raisin 210 gr.), travaillant donc ensuite sur support humide. L'image réduite ne rend que très vaguement l'effet obtenu. Il faut imaginer le rouge net et tranchant des taches supérieurs dansant au-dessus des gris texturés; les noirs encrés se fondant dans les arrières plans crayeux et comme noyés de brumes... Il semble qu'en notre époque matérialiste avide de choses concrètes, ces échappatoires toutes imprégnées d'aléatoire, soient plus ou moins considérées comme des ratages ou des incongruités à faire disparaitre. Une bonne dose de tachisme glissée dans le webdesign, sans nulle doute désagréable à la machine, serait peut-être pourtant bénéfique à l'humain.

Tachisme détail CC-By-Nc-Nd

« L'imperméable, l'informel, imaginent, trouent, éclatent au centre menacé de tout. »
—Camille Bryen

« Si Internet révolutionne en permanence les mœurs de bon nombre de sociétés en permettant un accès généralisé au savoir ainsi qu’une nouvelle approche démocratique, il met également à mal, de façon paroxystique, certains droits et libertés. » Cit. Cairn.info. Transparence des opinions et de l'intimité, contrôle et comptabilité des flux de connexion, rentabilisation forcenée des échanges sont « devenus l’emblème d’un monde où la technique aurait réussi à prendre l’homme au piège de sa créativité technologique. » Il appartient en premier lieu à ceux qui créent et mettent en ligne les sites internet de prendre la mesure des dérives et des aliénations qu'ils mettent en place en installant certains outils. Il me parait même urgent de devoir s'extraire coûte que coûte de toutes mécaniques numériques visant à relayer, décompter, filtrer, enregistrer navigation, clics et scrollings. De toute évidence, il importe de remettre ici comme partout ailleurs du flou, du hasard, de l'indicible, de l'indétectable et de l'improbable... Peut-être faudrait-il inventer un sorte de dripping numérique adapté à la situation, équivalent aux techniques de maquillages destinées à brouiller les algorithmes de reconnaissance faciale ?